Si la recherche d’alternatives à la viande est principalement motivée par son lourd impact environnemental, les arguments éthiques peuvent également être une motivation forte. Contrairement aux alternatives comme la viande végétale, les mycoprotéines ou même la viande cultivée, l’élevage d’insectes implique l’utilisation directe d’animaux, et ce dans de grandes quantités. Or, on peut au moins se poser deux questions majeures (en réalité, beaucoup plus) afin de déterminer si l’élevage d’insectes peut poser problème d’un point de vue éthique : est-ce que les insectes sont sentients et le cas échéant est-ce que les conditions d’élevage des insectes les amènent à mener une vie “nette négative”, c’est à dire faite de davantage de souffrance que de bien-être être ?

Plusieurs scientifiques se sont penchés sur la première question, avec des résultats contrastés et parfois divergents. Certains auteurs penchent très clairement vers l’idée que les insectes ne peuvent ressentir la douleur, quand d’autres arguent que de nombreux indices laissent penser que les insectes jouissent une expérience suggestive de la douleur. Voir à ce propos cette étude, celle là, ou encore celle-ci. Malheureusement, à ma connaissance aucune de ces études ne porte directement sur les insectes couramment élevés pour produire de la nourriture. A ce jour, il est donc extrêmement difficile de dire si les insectes élevés pour l’entomophagie sont sentients. 

De la même manière, nous disposons de très peu d’informations sur la manière dont les insectes perçoivent leurs conditions d’élevage. Les méthodes d’abattage les plus couramment utilisées par les élevages d’insectes à grande échelle sont la congélation ou la lyophilisation, en partant du principe que les insectes à sang froid s’endormiront sans souffrance et ne se réveilleront jamais, mais plus d’études seraient nécessaires pour confirmer cette idée et éventuellement interdire d’autres méthodes de mises à mort plus susceptibles de causer de la souffrance aux insectes (typiquement celle envisagée par la société Ynsect, certaines études pouvant appuyer l’idée qu’il s’agit d’une méthode douloureuse pour nos amis à six pattes).

Cette incertitude concernant la souffrances potentielle des insectes d’élevage est particulièrement inconfortable dans la mesure où des quantités astronomiques d’insectes seraient nécessaires pour remplacer une part significative de la viande. Par exemple, en considérant qu’un ver de farine pèse environ 100 à 110 milligrammes lorsqu’il est récolté, il en faudrait environ 9091 pour obtenir un kilogramme, quand un seul bœuf peut fournir à lui seul plusieurs centaines de kilogrammes de viande. Dès 2020, et alors que la consommation d’insectes reste très marginale, on estimait que le nombre d’insectes élevés en tant que nourriture humaine ou pour l’alimentation animale était compris entre 1 000 et 1 200 milliards. En conséquence, certains auteurs considèrent qu’il serait préférable d’appliquer un principe de précaution et de considérer que les insectes sont sentients. Cependant, et même en considérant que les insectes seraient sentients, certains défendent le caractère éthique de leur consommation, arguant par exemple que même une alimentation végane entraîne la mort d’un grand nombre d’insectes. On pourrait néanmoins rétorquer qu’à moins que les insectes ne se nourrissent que de déchets organiques, la production de nourriture destinée aux insectes d’élevages entraînerait également la mort de nombreux insectes en plus de ceux directement consommés, et donc qu’il est probable que le nombre total d’insectes tués soit plus élevé dans un burger d’insectes que dans un burger de plantes. Or, nous avons de très bonnes raisons de penser que si les insectes sont élevés à l’échelle industrielle, ils ne seront pas nourris exclusivement de déchets non valorisables autrement.

En conclusion, il est très difficile de donner une réponse définitive en faveur ou non de la consommation d’insectes d’un point de vue éthique. Davantage de recherche serait nécessaire pour y voir plus clair, notamment sur la sentience des espèces d’insectes les plus couramment utilisés dans l’élevage et si leur vie est nette positive. En revanche, le nombre astronomique d’insectes concernés devrait nous inviter à faire preuve d’une grande prudence et de preuves solides qu’ils ne souffrent pas avant de songer à industrialiser massivement l’élevage d’insectes. En ce sens, il semble raisonnable de considérer que les autres protéines alternatives, et notamment la viande végétale et les mycoprotéines, constituent des solutions plus adaptées et plus sûres dans la transition vers une alimentation moins cruelle.

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