Pour changer un peu de d’habitude (et surtout avoir du nouveau contenu pour peu d’efforts) je propose pour ce post de traduire l’article d’un ami. Vous trouverez l’article original, en anglais, ici.

J’ai choisi de traduire cet article pour deux raisons :
1) Parce qu’il a été écrit par un ami dont le blog mériterait d’être davantage lu.
2) Mais surtout (essentiellement) parce qu’il traite d’un sujet intéressant et remet en cause un état de fait que beaucoup considèrent comme « naturel » ou « inévitable », mais qui relève pourtant de choix politiques plus ou moins conscients.

Bien que l’on pourrait arguer que l’automobile n’a jamais été aussi puisante, il me semble également qu’elle n’a jamais été aussi contestée. Beaucoup de personnes, que cela soit pour des raisons sanitaires ou environnementales, regrettent ainsi l’abandon de l’espace urbain au profit des voitures. Aussi, lorsque certaines personnes défendent le fait qu’il faudrait mettre en place un certain nombre de politiques publiques en faveur d’une expansion du réseau de transports en commun, afin de limiter l’importance de la voiture, on leur rétorque qu’une telle politique serait extrêmement coûteuse et nécessiterait un soutien important de l’état (et puis quoi encore, le communisme ?!) Cependant, peu est dit sur les subventions conséquentes dont bénéficient les voitures et qui sont, du moins en partie, responsables de leur omniprésence aujourd’hui. C’est parce que cet article aborde ce sujet épineux mais intéressant, et qui à mon humble avis sera de plus en plus important dans le futur, que j’ai choisi de le traduire.

Les subventions invisibles dont bénéficient les voitures

6 Décembre 2019, par Tom Adamczewski

Les véhicules personnels sont omniprésents. Ils dominent les villes. En fait, ils sont même tellement enracinés qu’ils peuvent se fondre dans le décor sans que nous ne les remarquions vraiment. Le fait qu’aujourd’hui il y ait autant de voitures dans nos villes peut nous sembler être un état de fait « naturel ».

Notre degré d’utilisation de l’automobile pourrait peut-être être qualifié de “naturel” s’il était le résultat de l’interaction des préférences des gens dans des marchés qui fonctionnent bien. Aucun lecteur de ce blog, je suppose, ne croirait une telle affirmation. Les externalités négatives des voitures sont bien documentées : pollution, congestion, bruit, etc.

Les subventions pour les voitures sont moins évidentes, mais je pense qu’elles sont tout aussi importantes.

Dans notre relation avec les voitures en milieu urbain, nous sommes presque comme le poisson de David Foster Wallace qui demandait « qu’est-ce que l’eau ? » J’aimerais renverser cette perspective et souligner certaines politiques gouvernementales précises qui augmentent le nombre de voitures dans les villes.

“Manhattan, 1964” by Evelyn Hofer

Stationnement gratuit ou bon marché 

Le stationnement privé dans les centre-villes les plus prisés peut coûter des centaines de dollars par mois. Mais le gouvernement fournit des espaces de stationnement pour les voitures sur le côté de la rue pour une fraction de cette somme, souvent gratuitement.[1]

La largeur des routes

Les rues et les trottoirs se trouvent sur de vastes étendues de terres publiques situées à des endroits stratégiques. La plus grande partie de ces terres est consacrée aux voitures. Sur les grandes voies de circulation, je suppose que les voitures occupent facilement 70 % de l’espace, ne laissant que de minces lignes de trottoirs de chaque côté pour les piétons.

Ce blogueur estime, en se basant Google Maps, que les rues occupent 43% du territoire à Washington DC, 25% à Paris et 20% à Tokyo.

L’espace actuellement utilisé pour les voitures garées ou en mouvement pourrait être utilisé, par exemple, par des magasins et des restaurants, pour des stations de vélos en libre-service, pour planter des arbres, pour des “parklets”, ou même pour ajouter des logements. Et s’il y avait un marché pour cet espace, je suis sûr que les gens lui trouveraient beaucoup d’autres utilisations intelligentes.

Routes et autoroutes

Même si les autoroutes ne se trouvent pas à l’intérieur de la ville, elles ont des effets indirects importants sur la vie urbaine. Que le gouvernement paie pour que des autoroutes ou des lignes de chemin de fer puissent relier les villes entre elles est un choix politique qui a des effets évidents sur la vie quotidienne dans les villes, même pour les gens qui ne voyagent pas.

Aux États-Unis, cette subvention implicite pour les voitures est importante. Selon le ministère des Transports, en 2018, 49 milliards de dollars du budget de 87 milliards de dollars du ministère ont été consacrés aux routes[2].

Dans ce post, je ne veux pas entrer dans la question très compliquée de savoir combien les gouvernements devraient dépenser de façon optimale pour les autoroutes. Pour autant que je sache, la politique américaine pourrait tout à fait être optimale. Ce que je veux simplement dire, c’est que toute dépense gouvernementale sur les autoroutes subventionne indirectement la présence de voitures dans les villes. Cela n’est pas évident et vaut la peine d’être souligné. Lorsque le gouvernement paie pour un métro dans votre ville, la subvention en faveur du métro est visible et facilement compréhensible. Alors que pendant ce temps, les subventions en faveur des voitures par l’intermédiaire d’un vaste réseau routier à travers le pays passent inaperçues pour beaucoup.

Par honnêteté intellectuelle, je dois néanmoins signaler qu’aux États-Unis les dépenses fédérales pour les autoroutes sont financées en grande partie par les taxes sur le carburant des véhicules. Il n’est donc pas si évident de déterminer si la politique fédérale concernant les routes est une subvention nette pour les voitures. Toutefois, le mode de financement des dépenses routières varie d’un pays à l’autre. Par exemple, en Allemagne, « les autoroutes fédérales sont financées par la fédération grâce à une combinaison de recettes générales et de recettes provenant des péages imposés sur le trafic des camions ».

Exigences minimales de stationnement

De nombreuses réglementations de zonage exigent que les nouveaux bâtiments comprennent un nombre fixe de places de stationnement hors rue. Ce n’est pas un problème aussi grave dans les villes européennes que je connais, mais aux États-Unis, les normes minimales de stationnement sont bien au-delà de ce que le marché pourrait offrir, et représentent un coût important pour les promoteurs. Un article estime que le coût du stationnement à Los Angeles augmente le coût des bureaux de 27 à 67 %[3].

Étalement suburbain

Les États-Unis ont construit des banlieues tentaculaires durant l’après-guerre. Je me souviens encore de la célèbre vue aérienne de Levittown, la banlieue préfabriquée prototypique, tirée de mon livre d’histoire du collège.

La croissance des banlieues a été favorisée par des politiques gouvernementales spécifiques qui ont fait pencher la balance en faveur des maisons individuelles dans les banlieues et contre les appartements dans les villes. La croissance des banlieues a entraîné une augmentation du nombre de voitures dans la ville, parce que les gens qui vivent en banlieue sont beaucoup plus susceptibles d’aller travailler en voiture.

Devon Zuegel présente un excellent exposé sur la façon dont l’assurance hypothécaire fédérale subventionne les banlieues[4] :

    [L’administration fédérale du logement] fournit une assurance sur les prêts hypothécaires qui répondent à certains critères, remboursant le capital aux prêteurs en cas de défaut des emprunteurs. […] Les prêts hypothécaires devaient répondre à un ensemble de critères bien définis pour être admissibles à l’assurance fédérale. […] La maison idéale avait « du soleil, de la ventilation, une vue panoramique, de l’intimité et de la sécurité », et « un aménagement paysager et un jardinage efficaces » augmentaient sa valeur. Le guide recommandait que les maisons soient situées à au moins 15 pieds de la route et que les pelouses bien entretenues qui correspondaient aux cours des voisins favorisaient une évaluation positive. […] [Le manuel de la FHA] prescrit la largeur minimale des rues et d’autres mesures spécifiques.

Le gouvernement fédéral prescrivait effectivement comment des millions d’Américains devraient vivre, jusqu’à leur aménagement paysager et leur jardinage ! Je me demande si Khrouchtchev a soulevé ce fait intéressant sur la vie américaine dans ses conversations avec Eisenhower. 😉

Pour en savoir plus

  • Une étude du Canadian Victoria Tansport Policy Institute, Transportation Land Valuation
  • N’importe quoi de Donald Shoup, économiste et urbaniste.
  • Quelques chouettes cartes des villes américaines, montrant la superficie consacrée au stationnement en surface, aux garages de stationnement hors sol et aux espaces de parc.
  • Les superblocs de Barcelone

Notes de bas de page

[1] Si vous voulez en savoir plus à ce sujet, l’économiste et urbaniste Donald Shoup à écrit un livre de 733 pages intitulé The High Cost of Free Parking.

[2] Voir le tableau récapitulatif à la page 82 du présent document. La somme des dépenses de la Federal Highway Administration, de la Federal Motor Carrier Safety Administration et de la National Traffic Safety Administration s’élève à 49 milliards de dollars. Merci à Devin Jacob pour l’avoir porté à mon attention.

[3] Shoup 1999, The trouble with minimum parking requirements, dans la section 3.1, estime que les besoins de stationnement à Los Angeles augmentent le coût des espaces à bureaux de 27 % pour le stationnement hors sol et de 67 % pour le stationnement souterrain.

[4] Devon a écrit une série en deux parties : La partie 1, citée plus haut, traite de la politique hypothécaire fédérale et présente des arguments convaincants concernant le fait qu’elle comprenait d’importantes subventions implicites. La partie 2 traite de « comment l’étalement suburbain fait l’objet d’un traitement spécial dans notre code fiscal ». Il montre que la propriété et la construction de maisons sont fortement subventionnées, par exemple par la déduction des intérêts hypothécaires gargantuesques. Je suis d’accord que cela signifie que les gens sont encouragés à “consommer” plus de logements, mais je ne vois pas en quoi cela encourage différemment le logement en banlieue. À ce propos, Devon cite l’économiste Edward Glaeser, qui dit que :

Plus de 85 % des habitants des maisons individuelles sont propriétaires-occupants, en partie parce que la location entraîne une dépréciation du logement. Plus de 85%  des personnes habitant dans de grands immeubles louent leur logement. Étant donné que la propriété et le type de structure sont étroitement liés, le fait de subventionner l’accession à la propriété encourage les gens à quitter les tours d’habitation urbaines et à déménager dans des maisons de banlieue.”

Le lien clé de l’argument semble donc être le lien entre la propriété et le type de structure. J’aimerais que cela soit mieux expliqué et mieux sourcé. La corrélation observée pourrait-elle être simplement due à un effet de sélection ? S’il y a un véritable effet causal, est-ce que les grands immeubles ont plus de locataires parce que c’est véritablement plus efficace de cette façon, ou y a-t-il une défaillance du marché qui empêche les gens d’être propriétaires d’un appartement dans la ville ?

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